Le déficit financier : de l'annulation des dépôts à l'annulation comptable
Le Liban connaît un débat sur le projet de loi sur le déficit financier et son impact sur les dépôts et la reddition de comptes.
SUMMARY
L'article traite du débat politique et financier autour du projet de loi sur le déficit financier au Liban, mettant en lumière les divergences sur la taille du déficit, l'absence de reddition de comptes, et l'impact de la loi sur les dépôts et le secteur bancaire, tout en soulignant la nécessité de reddition de comptes et de réforme pour assurer la stabilité économique et politique.
KEY HIGHLIGHTS
- La divergence dans les estimations du déficit financier reflète l'absence de volonté politique pour la reddition de comptes et la réforme.
- Le projet de loi proposé redistribue les pertes de manière injuste et menace le secteur bancaire d'une faillite totale.
- L'absence de reddition de comptes conduit à faire supporter les pertes aux citoyens et déposants les plus faibles.
- La restructuration des banques doit se faire par la continuité, la recapitalisation et une bonne gouvernance, non par une destruction totale.
- Le déficit financier n'est pas seulement une question de chiffres, mais aussi de confiance, de justice, de responsabilité et de décision souveraine.
CORE SUBJECT
Projet de loi sur le déficit financier au Liban et son impact sur les dépôts et la reddition de comptes
La livre libanaise et le dollar (sites).
Le professeur Maroun Khater
Écrivain et chercheur en affaires financières et économiques
En plus de sa crise politique difficile, le Liban connaît un débat large et profond, déclenché par une fuite d'information indissociable du contexte politique et financier du projet de loi sur le « déficit financier ».
Cette fuite, qui semble intentionnelle, non seulement par son timing mais aussi par son contenu, est survenue à un moment où le désaccord persiste sur la taille réelle du déficit. Le problème ne réside pas seulement dans la complexité des chiffres, mais aussi dans le fait qu'un accord sur un chiffre unique signifie nécessairement un accord sur la détermination des responsabilités, et le passage de la logique de gestion de crise à celle de sa résolution, ce qui ne semble pas encore possible. La divergence entre les estimations de l'État, de la Banque du Liban et des banques ne reflète pas une simple différence technique, mais révèle clairement l'absence de volonté politique d'aller vers une solution basée sur la reddition de comptes et la réforme structurelle. Dans ce cadre, il convient de rappeler que les rapports du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ont souligné à plusieurs reprises que l'unification des chiffres est une condition obligatoire pour tout plan de redressement sérieux. Les chiffres ne sont pas un détail technique négociable, mais l'entrée naturelle pour une répartition équitable des pertes, pour identifier qui a fauté, qui a profité et qui a failli.
Le plus dangereux est la pression croissante pour accélérer l'adoption de la loi sur le déficit financier, comme s'il s'agissait d'une loi ordinaire ou d'une clause annexe aux lois budgétaires comptables que le Liban a l'habitude de faire passer sous la pression du temps et de la nécessité. Cependant, la loi sur le déficit financier n'est ni circonstancielle ni techniquement limitée dans son impact, mais une loi à dimension stratégique fondatrice, qui dessine l'avenir du système financier et bancaire pour des décennies, détermine le sort des dépôts, redéfinit la relation entre l'État, le citoyen et la banque, ainsi qu'entre le système bancaire et les investisseurs, et redessine aussi le rôle même de l'État dans la construction de l'économie. L'empressement à son adoption, sans débat public transparent, sans chiffres unifiés, et sans définition claire des responsabilités, constitue un danger grave, car il pourrait consacrer une injustice permanente sous le prétexte d'une solution rapide. Les lois fondatrices ne se mesurent pas à la rapidité de leur adoption, mais à leur capacité à durer, à leur justice, et à leur capacité à traiter les causes de la crise et non à se débarrasser de ses conséquences.
Le recours à une fuite d'approches fondées pratiquement sur le principe du « Dieu pardonne ce qui est passé », au détriment des déposants et des dépôts, et sur les ruines du secteur bancaire actuel, ne nuit pas seulement à la justice économique. Il nuit aussi à la présidence, et contredit clairement le discours du serment et la déclaration ministérielle qui insistaient sur la restauration de l'État et la protection des droits des déposants. La crise libanaise n'est pas le résultat d'une « catastrophe naturelle », mais une crise systémique sans précédent, résultant de politiques financières et monétaires erronées, d'une incapacité structurelle de l'État, et de pratiques bancaires à haut risque qui ont été ignorées pendant de nombreuses années. Par conséquent, imputer la responsabilité entière aux banques est une simplification erronée, tout comme les disculper est une grave erreur. Le système tout entier a participé à la production de l'effondrement, et chaque pilier, sans exception, est tenu de supporter sa part équitable des pertes.
L'absence de reddition de comptes est au cœur du dysfonctionnement dans l'approche divulguée, ce qui rend inévitable le transfert des pertes vers le maillon le plus faible, quel que soit le responsable désigné. En l'absence de reddition de comptes, il ne s'agit plus d'une répartition équitable des pertes, mais d'un transfert organisé vers ceux qui ne peuvent pas s'y opposer. Si l'État assume les pertes, cela se traduira en réalité par des impôts supplémentaires, une inflation chronique, et une dégradation des services publics, supportés exclusivement par le citoyen respectueux des lois. Si les banques assument les pertes, le résultat pratique, en l'absence de recapitalisation et de responsabilité, sera de les faire supporter directement ou indirectement aux déposants. Dans les deux cas, le résultat est le même : faire supporter les pertes à ceux qui n'en sont pas responsables.
Les fuites en circulation révèlent que le projet de loi en cours d'élaboration ne se contente pas de redistribuer les pertes de manière injuste, mais entraînera une annulation complète des dépôts sans aucune exception. L'approche proposée ignore de manière suspecte les dépôts en livres libanaises, tout en chargeant d'autre part l'État des pertes comptablement, puis en les libérant via l'émission d'obligations d'État sans confiance ni valeur à leur émission. Parallèlement, le projet divulgué fait porter la part réelle des pertes uniquement aux banques, qui sont bien sûr partenaires dans la crise sans en être les seuls responsables, ce qui pourrait conduire à leur faillite ou à leur mise en faillite via la loi de réforme bancaire, qui aurait mieux valu appeler « loi de faillite des banques ». Cela conduirait inévitablement à éliminer toute capacité future de remboursement ou de récupération progressive des dépôts. Ainsi, le projet proposé n'est pas un plan de redressement, mais un plan d'annulation totale des dépôts sous des titres techniques trompeurs, à l'abri de toute reddition de comptes sérieuse des responsables de l'effondrement. Cette approche n'est qu'une fuite organisée de la reddition de comptes, qui accorde aux coupables dans l'État et dans le système financier un nouveau blanc-seing, et ouvre la porte à la reproduction du même système avec de nouveaux outils et de nouveaux visages.
L'écrasement du secteur bancaire existant et la poussée vers sa faillite totale équivalent à la résurrection du tristement célèbre plan des « cinq banques ». Ces approches sont une aventure dangereuse qui conduira inévitablement à un nouveau déficit financier, et à la reproduction du clientélisme et de la corruption qui ont conduit le Liban à l'effondrement, en plus d'exposer l'économie et le secteur bancaire au risque de sanctions. Les expériences internationales, comme le montre le Fonds monétaire international, confirment que la restructuration des banques doit se faire par la continuité, la recapitalisation et une bonne gouvernance, et non par une destruction totale et l'effacement de la mémoire bancaire. Dans un contexte connexe, nous soulignons que l'élimination des banques actuelles signifie pratiquement l'annulation des bases de données bancaires, un pilier essentiel pour toute relance économique et pour toute restauration de la confiance. Quant à parler d'alternatives bancaires en l'absence de banques étrangères et arabes, cela reste un sujet de doute légitime, car cela ouvre la porte à des modèles pouvant porter des agendas financiers ou politiques particuliers, ce qui menace la souveraineté de la décision financière. La question fondamentale reste : qui investira dans un pays dont le système n'est pas encore réformé ? Et la réponse, malheureusement, est inquiétante pour ne pas dire effrayante !
Le déficit financier n'est pas seulement un déficit de chiffres, mais un déficit de confiance, de justice, de responsabilité et de décision souveraine par excellence ! L'approche d'un dossier de cette ampleur ne doit pas être précipitée, mais il est naturel qu'elle soit un pilier pour l'avenir, pour la relance économique et pour la restauration de la confiance. Cela exige la conjugaison de la reddition de comptes et de la réforme dans un contexte de stabilité politique durable...
La réforme sans reddition de comptes est une illusion, et la reddition de comptes sans réforme est une vengeance ! Quant à l'annulation des dépôts sous quelque appellation que ce soit, c'est un crime manifeste.
En résumé, soit un État qui rend des comptes et réforme, soit un nouveau déficit s'ajoute aux nombreux déficits du Liban, une blessure de plus à ses plaies ouvertes en un temps où nous espérons la cicatrisation des blessures et le retour de l'espoir...
KEYWORDS
MENTIONED ENTITIES 4
Fonds monétaire international
🏛️ OrganizationOrganisation internationale fournissant des rapports et recommandations financières
Banque mondiale
🏛️ OrganizationOrganisation internationale fournissant des rapports et recommandations économiques
Banque du Liban
🏛️ OrganizationBanque centrale libanaise
Professeur Maroun Khater
👤 Person_MaleÉcrivain et chercheur en affaires financières et économiques