Quand un papillon bat des ailes à Nemanjina

La Serbie a été ces dernières semaines un terrain d'essai pour le « effet papillon », un modèle qui explique les relations de cause à effet dans la théorie du chaos. C'est lorsque le battement d'ailes d'un papillon en Mongolie provoque un ouragan à l'autre bout de la planète qui déracine des arbres.

L'effet papillon en Serbie peut être observé quotidiennement : dès que le vice-Premier ministre Aleksandar Vučić ouvre la bouche, quelqu'un qui jusque-là profitait tranquillement des fruits de sa conscience douteuse ressent une pression dans la poitrine. Ou bien, quand le papillon bat des ailes dans le bureau de Nemanjina 11, quelqu'un finit derrière les barreaux.

Jusqu'à présent, le battement d'ailes du papillon a surtout conduit à l'emprisonnement de personnes proches de l'ancien pouvoir, bien que certains aient été liés aux partenaires de coalition de Vučić du Parti socialiste de Serbie, qui faisaient également partie du précédent gouvernement.

Pour beaucoup, le petit déjeuner a été gâché par les premières nouvelles du matin, surtout lorsque les informations matinales mentionnent des noms connus.

La semaine dernière, l'ancien ministre de l'Agriculture Saša Dragin et le propriétaire de la société de conseil CES Mekon, Zvonimir Nikezić, ainsi que sept autres collaborateurs, ont été arrêtés dans le cadre d'affaires lucratives liées à des engrais en Bulgarie.

On soupçonne que les « balegari » dans l'affaire Azotara ont causé un préjudice au budget de l'État de plus de quatre millions et demi d'euros.

Nikezić avait déjà été entendu en septembre dans le cadre d'une enquête sur une grande affaire de corruption liée à Agrobanka, où il avait été membre du conseil d'administration. Beaucoup prédisaient déjà à l'époque qu'il ferait un « voyage à Kinshasa ». Comme cette enquête n'est pas encore terminée, il pourrait encore faire ce « safari ».

Une série de liens de cause à effet a conduit à l'arrestation de Nikezić, ce qui a suscité un malaise chez l'ancien Premier ministre Mirko Cvetković.

Il a lui-même déclaré être bouleversé et que Nikezić n'était pas un partenaire commercial, mais un ami. Dans le cadre de l'effet papillon, qui nous enseigne que même les plus petites décisions peuvent avoir des conséquences lointaines, l'ancien Premier ministre ne s'inquiéterait pas aujourd'hui s'il avait mieux choisi ses fréquentations.

Lien Cvetković-Nikezić

Cvetković a été directeur exécutif de CES Mekon, la société de Nikezić, tout en étant directeur de l'Agence de privatisation, ce qui lui a valu des accusations de conflit d'intérêts de la part du Conseil de lutte contre la corruption.

Cet homme discret à la barbe grise, semblable au Père Noël, ne se souciait pas de ces accusations. Et pourquoi le ferait-il, alors que de janvier 2002 à janvier 2010, l'État a versé à CES Mekon 535,8 millions de dinars (environ cinq millions d'euros) pour des services de conseil.

La majeure partie, soit un tiers de cette somme, a été gagnée par CES Mekon pendant que Cvetković dirigeait l'Agence. Ainsi, ce clarinettiste réservé s'attribuait lui-même des contrats.

En Serbie, les consultants prennent l'argent, graissent les rouages où il faut et, avec l'aide de leurs cadres, attendent de nouveaux contrats dans les institutions.

En un an et trois mois (du 26 décembre 2002 au 7 avril 2004), pendant qu'il dirigeait l'Agence de privatisation, Cvetković est devenu le recordman du nombre de privatisations annulées - pas moins de 168.

Cinq des dix privatisations où CES Mekon conseillait l'État ont été annulées, sont suspectes ou ont abouti à la fermeture des entreprises.

Selon une analyse du Conseil de lutte contre la corruption, les privatisations des entreprises Seme et Beograd film, où CES Mekon conseillait l'État, sont considérées comme suspectes, et ces privatisations douteuses font l'objet d'une attention particulière des groupes de travail de l'équipe anticorruption coordonnée par Vučić, en tant que secrétaire général du Conseil de sécurité nationale et chef du Bureau de coordination des services de sécurité.

Dans le monde, les consultants ne sont payés qu'après avoir réussi leur mission, et doivent compenser les dommages causés. En Serbie, les consultants prennent l'argent, graissent les rouages où il faut et, avec l'aide de leurs cadres, attendent de nouveaux contrats dans les institutions.

Les jeunes générations doivent prendre la relève

À l'époque où CES Mekon travaillait sur de nombreuses privatisations, dont certaines suspectes, le fils de Zvonimir, Dušan Nikezić, était adjoint de Cvetković à l'Agence de privatisation, lui aussi cadre de CES Mekon.

Plus tard, ce jeune homme est devenu conseiller du Premier ministre Cvetković, puis, après la reconstruction du gouvernement, le Premier ministre a également pris en charge le ministère des Finances, où son secrétaire d'État est Dušan Nikezić. Pendant qu'il conseillait le Premier ministre, cet économiste polyvalent occupait plusieurs autres postes.

L'autre fils de Nikezić, Pavle, est directeur de l'Agence yougoslave des auteurs, dont le conseil d'administration comprend le fils de Cvetković, Aleksandar. Selon des données obtenues par le Centre d'investigation journalistique de l'Association indépendante des journalistes de Serbie, Nikezić détient près de 60 % des parts de la JAA.

Dans cette agence, Cvetković détenait environ 5,6 % des parts, mais après la pression du public et de l'Agence de lutte contre la corruption, il a transféré ses droits de gestion à des personnes non liées.

Les arrestations suscitent chez le peuple une satisfaction inexplicable, accompagnée de cris exaltés de soutien : « Arrêtez-les, milice populaire », le tout accompagné des gémissements d'un estomac vide.

L'effet papillon nous enseigne que de petites choses apparemment insignifiantes peuvent entraîner des conséquences catastrophiques. Quand un magnat serbe est pris pour cible par la justice, des milliers de travailleurs souffrent de maux de tête ou perdent leur emploi.

Pour nous en Serbie, il est insignifiant que quelqu'un en Croatie se soit levé un matin et ait décidé de fouiller dans les affaires de l'ancien Premier ministre Ivo Sanader, mais cette décision a peut-être conduit à une série d'arrestations en Serbie, car, faute de gros gibier, une multitude de « sanaderčići » ont commencé à être interpellés.

Ces arrestations provoquent ensuite chez le peuple une satisfaction inexplicable, accompagnée de cris exaltés de soutien : « Arrêtez-les, milice populaire », le tout accompagné des gémissements d'un estomac vide.

Jusqu'où peuvent mener de telles connexions comme dans le cas de Cvetković et Nikezić ? Seul Aleksandar Vučić le sait, à qui quelqu'un a offert il y a plus de 30 ans un pistolet en plastique et un badge de police. C'est en fait là que tout a commencé.